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Sebkhet Imlily, une zone humide UNIQUE dans le Sud marocain

Sebkhet Imlily est une zone humide située dans le Sud marocain à environ 200 km de la frontière avec la Mauritanie. Elle a été prospectée pour la première fois en janvier 2009 dans le but d’y dénombrer, éventuellement, les oiseaux d’eau. La Sebkha était pratiquement à sec à l’exception de poches d’eau permanentes dans sa partie médiane. Les bordures de la partie nord prospectée de cette zone humide une ceinture continue d’une végétation aquatique mixte à base d’émergents hauts. Les poches d’eau hébergent un peuplement ichtyologique constitué d’une espèce de Cichlidés, le Tilapia de Guinée Tilapia guineensis (Bleeker, 1862), inconnue jusqu’ici de toute l’Afrique du Nord et du Sahara.

INTRODUCTION

Sebkhet Imlily est une zone humide située à une quarantaine de kilomètres au sud d’El Argoub ; elle était déjà connue de la population locale (Province d’Oued Ad-Dahab) et vient d’être redécouverte après l’allègement, ces dernières années, des mesures de sécurité dans cette partie très sensible du territoire national. D’accès libre et relativement facile actuellement, cette Sebkha a été déjà visitée par les représentants locaux de certaines administrations (Haut Commissariat aux Eaux et Forêts et à la Lutte Contre la Désertification, Institut National de Recherche Halieutique, Ministère de l’Agriculture et des Pêches Maritimes), mais aussi par les membres d’une organisation non gouvernementale locale (Nature Initiative) active dans le domaine du développement durable. Un compte rendu d’une mission commune réalisée par ces différents intervenants avait été alors élaboré (Anonyme 2007). Plus récemment, Sebkhet Imlily a fait l’objet, entre autres zones intéressantes de la province d’Oued Ad-Dahab, d’une émission télévisée (Amouddo) réalisée par une chaîne nationale.

Au cours d’une mission de recensement hivernal des oiseaux d’eau effectuée dans les zones humides du Sud marocain, nous avons visité cette Sebkha, surtout sa partie septentrionale, le 09 janvier 2009. Aucun oiseau aquatique n’y a été observé sachant que la Sebkha était quasiment à sec à l’exception de quelques dizaines de poches d’eau ; en revanche, nous y avons effectué un certain nombre d’observations et de relevés qui ont révélé un complément d’informations par rapport aux données parues dans le rapport inédit sus-mentionné. La description de cette Sebkha, située en pleine milieu désertique, a pour but de montrer son originalité ; l’accent y est mis sur certaines de ses composantes biologiques.

 LOCALISATION ET PHYSIONOMIE GÉNÉRALE DE LA SEBKHA

Sebkhet Imlily est située dans l’extrême Sud marocain à une quarantaine de kilomètres au sud d’El Argoub et à une dizaine de kilomètres de l’Océan Atlantique (Fig. 1). C’est une dépression peu profonde (moins d’une dizaine de mètres), allongée (environ 13 km de long sur 2,5 km de large) et d’orientation générale NNE-SSW. La dépression est entourée d’une formation dunaire sableuse sur laquelle se développe une végétation de type désertique assez dense. Dans la partie nord prospectée de la sebkha (photo 1), le sol sableux est rouge brique et recouvert, dans les zones les plus sèches, d’une fine poudre blanchâtre correspondant à la cristallisation de sel. Les bordures ouest et nord de la dépression sont humides et montrent formation végétale en forme de bande continue, large de 20 à 30 mètres.

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 La partie médiane de cette Sebkha présente plusieurs dizaines de poches d’eau permanente (photo 2). Leur diamètre varie de un à une dizaine de mètres et leur profondeur va de quelques décimètres à 6 mètres environ. Le fond est sableux et les bordures présentent des concrétions de sable et de sel. L’alimentation en eau de ces poches est assurée essentiellement par de petites résurgences qui apparaissent au fond ; la nappe affleure et humidifie le sol de la Sebkha, surtout au niveau des bordures ouest et nord de celle-ci. Les eaux de pluie, exceptionnelles à ces latitudes, seraient acheminées vers la Sebkha via des cours d’eau temporaires dont les plus importants arrivent du côté nord-est de la zone humide. Toutefois, excepté les poches permanentes au milieu, le reste de la Sebkha n’a jamais été vu en eau lors des différentes visites réalisées dans le site. Au niveau des poches, la salinité de l’eau varie de 39 à 41 g/l ; dans un puits situé à quelques centaines de mètres de la Sebkha, l’eau est saumâtre (Anonyme 2007).

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 CARACTERISTIQUES BIOLOGIQUES

La zone dans laquelle se trouve Sebkhet Imlily, bien que très peu éloignée de l’Océan, voit apparaître les premiers pieds d’Acacia tortilis subsp. Raddiana déformés par les vents. Parmi les plantes non aquatiques (Tab. I), Launea arborescens est la plus fréquente ; sa densité est relativement élevée sur les pentes de la zone visitée de la Sebkha. La caractéristique la plus importante de la végétation réside dans la présence d’une ceinture mixte (Phragmites australis, Juncus rigidus et Arthrocnemum macrostachyum), large d’une trentaine de mètres environ (photo 3) et qui est continue le long des bordures humides ouest et nord de la partie septentrionale de la zone humide prospectée. Les bordures de la Sebkha sont très fréquentées par des troupeaux d’ovins, de caprins et de camelins ; mais le site est infesté de moustiques (Culex hortensis Ficabi, 1889) rendant toute présence permanente de population humaine improbable. A la base d’un pied de Launaea arborescens, nous avons relevé la trace relativement ancienne d’un trou creusé très probablement par un porc-épic Hystrix cristata ; ce Mammifère, actuellement menacé au Maroc, aurait fréquenté cette région jusqu’à un passé récent. Des indices plus sûrs de présence de cette espèce sont à rechercher via des prospections plus poussées autour de toute la zone humide. D’autres traces relevées sur le sol sableux au niveau des bordures de la Sebkha ont été attribuées au Chacal Canis aureus. Aussi, des témoignages recueillis auprès de visiteurs espagnols par des membres de l’association ‘Nature-Initiative’ suggèrent la présence du Fennec Fennecus zerda dans les habitats sableux de la région. La présence du Renard de Rueppel Vulpes rueppelli n’est pas à écarter, puisque l’espèce est abondante dans la région ; en effet, des cadavres d’animaux écrasés ont été trouvés sur la route d’Aousserd en janvier 2007 (photo 4). Des traces de pattes relevées sur le fond meuble des poches d’eau de la Sebkha correspondraient à l’une ou l’autre de ces espèces carnivores (surtout Chacal doré ou Renard de Rueppel) qui viendraient pêcher les poissons vivant dans ces trous d’eau.

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 La présence de ces poissons constitue d’ailleurs l’évènement biologique le plus important relevé au niveau de Sebkhet Imlily. En effet, ni le paysage général, ni les données climatiques de la région considérée ne laissent supposer l’existence de pièces d’eau permanente capables d’héberger des représentants de ce groupe d’animaux. Les bandes sombres sur les flancs des poissons prélevés dans Sebkhet Imlily nous a, d’abord, fait penser au Tilapia de Zill Tilapia zillii (Gervais, 1848), l’un des deux Cichlidés (Reliques tropicaux au niveau du Sahara, Lévêque 1990) identifiés jusqu’ici dans le bassin du Dr’a (Pellegrin 1936, Le Berre 1989, Azeroual 2003) à quelque 900 à 1000 kilomètres au nord de Sebkhet Imlily. L’examen des spécimens par un chercheur travaillant sur les Poissons des eaux continentales en Afrique de l’Ouest (Mr A. Pariselle) nous a ensuite orientés vers le Tilapia de Guinée Tilapia guineensis (Bleeker, 1862) qui n’est connu jusqu’à présent ni du Maroc ni du Sahara, excepté une mention parue dans un rapport inédit (Mohamed Fall 2005) qui signale que l’espèce existerait en Mauritanie. D’après les documents classiques comme ceux de l’IRD (Paugy et al. 2003, www.ird.fr/poissonsafrique/faunafri/index.svg), le fleuve Sénégal représenterait la limite septentrionale de répartition du Tilapia de Guinée (Figure 2). La longueur maximale des spécimens capturés à Sebkhet Imlily est inférieure à 10 cm, alors que l’espèce peut atteindre 28 cm en Afrique de l’Ouest (Paugy et al. 2003). Les conditions écologiques extrêmes dans lesquelles survivent les poissons d’Imlily ne seraient-elles pas à l’origine du phénomène de nanisme constaté ici ? Il nous a été possible d’observer un comportement de cannibalisme (sujets s’alimentant sur le cadavre d’un congénère) ; lequel est à mettre sans doute en relation avec l’instinct de survie en conditions extrêmes.

CONCLUSIONS

  Sebkhet Imlily présente deux originalités par rapport à l’ensemble des zones humides marocaines. Son fonctionnement hydrologique particulier (immense sebkha avec des trous d’eau permanente) en fait un type de zone humide unique et inconnu jusqu’à nos jours au Maroc. D’autre part, elle héberge une bonne population de Tilapia de Guinée, poisson d’origine tropicale inconnu lui aussi de l’Afrique du Nord et du Sahara, exception faite de la Mauritanie où la présence de l’espèce reste toutefois à confirmer. Vu l’importance du site d’après les premiers éléments relevés, il est nécessaire d’y réaliser des études approfondies (hydrologie, hydrogéologie, biodiversité, etc.) afin d’appréhender son fonctionnement ainsi que l’ensemble de ses valeurs biologiques et écologiques dont nous ne connaissons actuellement que très peu. Des prospections plus poussées, à la recherche notamment d’autres pièces d’eau dans la région, sont nécessaires afin de collecter un ensemble représentatif d’échantillons sur lesquelles des études biométriques et génétiques seraient réalisées. Lesquelles études permettront de bien caractériser les populations de poissons nouvellement découverts et d’estimer, en particulier, la date à partir de laquelle ces populations reliques ont été isolées. Par ailleurs, même si l’accès à cette Sebkha est relativement aisé pour le public, celle-ci ne court actuellement pas de risque important de dégradation (à court terme) à cause de la faible densité de la population humaine, de l’éloignement relatif par rapport au seul grand centre urbain (ville d’Ad-Dakhla) ainsi que des désagréments que causeraient les moustiques à d’éventuels résidents.

Par:
Abdeljebbar QNINBA, Mohamed IBN TATTOU, Mohamed RADI,
Abdelaziz EL IDRISSI ESSOUGRATI, Hamid BENSOUIBA, Soufian BEN MOUSSA,
Toufik OUGGA, Jamel BOUZROU, Ismail AZAGUAGH, Jilali BENSBAI
& Mohamed Laghdef KHAYYA.
-Pour plus de détails concernant les auteurs, les références et les remerciements consultez le document original.
-Article Parut sous le titre originale: « Sebkhet Imlily, une zone humide originale dans le Sud marocain« 
-Article original parut au bulletin de l’Institut Scientifique, Rabat, section Sciences de la Vie, 2009, n° 31

 

Actualités :

« Depuis 2009, plusieurs articles ont été publiés concernant ce site et sur les résultats des recherches effectuées. Vu la spécificité du lieu et le peu de références existantes sur cette relation habitat – espèce, la poursuite des études (hydrologie, hydrogéologie, sédimentologie, palynologie, biodiversité, génétique, etc) permettrait d’appréhender son fonctionnement et son évolution paléoenvironnementale, ainsi que l’ensemble de ses valeurs biologiques et écologiques qui sont encore très peu connues. Ces études permettront notamment de bien caractériser les populations de poissons nouvellement découverts et d’estimer, en particulier, la date à partir de laquelle ces populations reliques ont été isolées.

Afin de répondre aux différentes problématiques posées par le cas « Sebkhet Imlily », un projet d’études pluridisciplinaires sur le site a été lancé récemment (juin 2012) conjointement par l’Institut Scientifique de Rabat et l’Association Nature-Initiative de Dakhla, avec la collaboration scientifique de plusieurs établissements, dont l’IRD. »

(Actualités relayées par Mr Qninba Abdeljebbar sur le site de http://www.medwetlands-obs.org)

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Notes d’Ecologie.ma

-L’association « nature initiative » a récemment enregistré et dénoncés (via sa page FB) des activités touristiques dans le site de Sebkha Imlily qui sont de nature invasive (visites collectives en grands nombres, touristes qui mettent les pieds dans les trous permanents voire s’y immerge totalement…) et qui pourraient avoir un impact négatif sur l’équilibre de cet écosystème unique précieux et extrêmement fragile. Il va de soit que ce genre de pratique doivent être interdite, et l’accès au site réglementé. Les touristes et guides qui sont intéressés par des visites de la Sebkha doivent être sensibilisés sur la nécessité de respecter les lieux.

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Photo: Nature Initiative

 

 

 

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