Figuier: jamais sans mes guêpes!

Si les exemples de relations de symbioses, de mutualismes et de bien d’autres ne manquent pas dans la nature, ils passent pourtant le plus souvent inaperçus, totalement à notre insu ! Dans cet article, il sera question d’un exemple de symbiose pour le moins surprenant, et qui se produit tout autour de nous sans que nous le remarquions pour autant: le figuier et la guêpe.

Originaire du bassin méditerranéen où il y est cultivé depuis des millénaires, le figuier en est devenu aux côtés de la vigne et l’olivier un arbre emblématique. De son nom latin Ficus carica, le figuier commun fait partie du genre Ficus de la famille des Moraceae, genre comptant plus de 600 espèces pour la majorité tropicales dont il est le seul représentant dans nos contrées.

Le figuier commun est largement cultivé au Maroc où il pousse également à l’état spontané sur une vaste gamme de sols avec une préférence pour les sols argileux profonds et frais mais surtout bien drainés. Ses larges feuilles sont caduques, hirsutes, et palmatilobées faites de 3 a 7 lobes pouvant mesurer jusqu’à 20cm.

Laissé à son sort, le figuier forme un houppier au port buissonnant dense et impénétrable atteignant alors d’ impressionnantes dimensions de l’ordre de 3 a 10 mètres de hauteur pour autant en largeur.

Les figues, des fleurs délicieuses

Plus impressionnant encore que sa taille, son mode de reproduction unique aux espèces du genre Ficus. Nous rappelons que les Ficus sont des Magnoliacées, c’est-à-dire des plantes à fleurs. Première nouvelle ! Me direz vous… Nombre d’entre nous en effet n’ont encore jamais vu ni entendu parler de fleurs sur un figuier… Il est alors tout à fait légitime de se poser des questions, car si l’équation semble de prime abord simple : une fleur donne un fruit… Pas de fleur, donc pas de fruit. B-A : BA.

Or sur le figuier, pas de fleur. Pourtant les figues sont bien là. D’où viennent alors les fruits ? Magie ? Une erreur scientifique ? Ou alors le figuier constitue tout simplement une exception à cette règle. Eh bien ni l’une ni l’autre, la vérité en est toute autre ! Il s’avère que le fruit que nous mangeons n’est autre que l’inflorescence elle-même, surprenant non ?

La sycone -nom donné à la figue au stade précoce par les scientifiques- est en réalité une inflorescence inversée disposant d’une ouverture à sa base appelée ostiole. Cela signifie que la figue renferme une multitude de minuscules fleurs en son sein. Les fleurs bordant l’ostiole possèdent un appareil femelle non fonctionnel, en revanche leurs étamines, l’appareil masculin de la fleur, lui est parfaitement fonctionnel et produit du pollen. Elles sont donc, de par leur fonction, des fleurs mâles. Les autres fleurs disposent d’ovaires parfaitement fonctionnels, en revanche elles ne possèdent pas d’étamines. Ces dernières sont donc fonctionnellement des fleurs femelles.

Senwila, Karmouss & bakor

Mais à quoi bon toute cette complexité ? Et comment se déroule la pollinisation de ces fleurs coupées du monde extérieur ? La réponse à ces questions est le blastophage ! Une minuscule guêpe ayant comme nom scientifique Blastophaga psenes, appelée Senwila en dialecte marocain, l’allié incontournable du figuier et pour cause ! Les deux espèces dépendent l’une de l’autre pour leur survie.

Mais de nous plonger dans le pourquoi du comment de cette véritable merveille de la nature, il est indispensable de connaître le, ou les modes de floraison du figuier. Le mode de floraison du figuier commun diffère d’une variété à l’autre. Bien qu’il s’agisse d’une seule et même espèces, certaines variétés fleurissent une fois par an en début d’été pour fructifier vers la fin de l’été ou le début de l’automne, elles sont dites unifères. Les variétés dites bifères fleurissent deux fois par an, les sycones de la deuxième floraison cessent de croître à la chute des températures et survivent l’hiver accrochées aux branches pour n’achever leur croissance qu’au printemps suivant. Ces figuiers donnent donc deux récoltes : les figues-fleurs ou Bakor en dialecte marocain en début d’été, puis des figues Karmouss en fin d’été ou début de l’automne. Il existerait même des variétés trifères sous des climats plus chauds.  

L’épopée du blastophage

L’épopée du blastophage commence à l’intérieure de la sycone par la métamorphose des larves en adultes. Les mâles sont aptères, ils naissent et meurent sans jamais quitter la sycone, ils ont pour unique rôle de féconder les femelles. Après fécondation, les femelles ailées, quittent la sycone par son ostiole, se couvrant au passage de pollen, et s’envolent en quêtes des sycones d’autres figuiers pour y pondre leurs œufs. Le compte à rebours commence alors, les blastophages adultes ne se nourrissent pas, elles ne peuvent compter que sur leur réserves énergétiques héritées du stade larvaire. Une fois arrivées à destination, les femelles blastophages doivent se forcer a travers l’ostiole  serré des sycones perdant leurs ailes au passage.

Elles rampent ensuite jusqu’aux fleurs femelles situées vers le sommet de la sycone, et dans un ultime effort, elles prennent le soin de déposer leur précieuse cargaison de pollen sur le stigmate des fleurs avant de déposer un œuf unique par ovaire de chaque fleur fécondée avant de mourir. Chaque fleur fécondée produit un fruit akène composé d’une graine entourée d’une pulpe très sucrée comestible. L’ensemble de ces fruits constituent l’infrutescence communément appelée figue.  Mais alors si les figues sont toutes consommées, qu’advient-il du blastophage ? 

Le style c’est la figue!

 

La vérité est que les figuiers sont considérés dioïques communément désignés : figuiers mâles ou figuiers femelles quoiqu’en réalité tous les figuiers sont monoïques…déroutant tous çà non ? Ne vous découragez pas je vous explique ! La diècie diècie du figuier n’est que fonctionnelle. Le figuier mâle appelé aussi figuier sauvage ou caprifiguier, dispose lui aussi de fleurs femelles, l’unique différence réside dans la longueur de leur style. Le style des figuiers dits femelles mesurent environ 1,5mm de long et sont donc trop longs pour que les femelles blastophages puissent y pondre.

Chez le caprifiguier en revanche, le style ne mesure que 0,5mm de long, et permet donc aux femelles d’y pondre, à l’éclosion la larve se nourrit de la pulpe du fruit et le rend impropre à la consommation. Le caprifiguier par contre, est le seul à pouvoir héberger le blastophage pendant l’hiver sous sa forme larvaire dans sa pulpe jusqu’au printemps suivant. Ces figues sèchent et tombent en général de l’arbre une fois leur pulpe consommée. C’est pour cela que seules les figues à styles longs sont consommées, et ces figuiers dits femelles.

Les deux espèces sont totalement dépendantes l’une de l’autre pour leur survie. C’est pour cela que chaque figueraie dispose d’un certain nombre de caprifiguier nécessaires à une bonne production. Au Maroc, il existe même des marchés consacrés a la vente des caprifigues, qui sont ensuite accrochées aux figuiers femelles pour en assurer la pollinisation. 

  • Dans les régions à l’hiver trop rude pour le blastophages, sont cultivées des variétés parthénocarpiques ne nécessitant pas de fécondation pour fructifier. Leurs graines en revanche ne sont pas fertiles et ne germent pas. Pour les variétés fertiles, leurs graines produisent des caprifiguiers et des figuiers en fleurs femelles en proportions égales !
  • Sous les latitudes tropicales et équatoriales, les figuiers fleurissent et fructifient toute l’année.
  • Au États-Unis, on introduisit le figuier dans l’état de Californie au climat méditerranéen propice à son développement, mais le succès ne fut pas au rendez-vous. Les scientifiques se penchèrent alors sur la question pour se rendre compte de l’existence du blastophage qu’ils s’empressent d’introduire en Californie.   

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A propos Reda Abouakil

Reda Abouakil
Mohamed Reda Abouakil est un naturaliste et écologiste engagé depuis sa tendre enfance. Passionné par les végétaux et la botanique Reda est actuellement étudiant en médecine.

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Un commentaire

  1. Avatar

    Intéressant article merci
    P.S : Juste une remarque les guêpes en dialecte marocain sont appelées « Bourzan », par contre « Chniwla » (et nom « Sniwla ») désigne les moustiques .

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