L’Anguille, poisson migrateur, est en permanence affrontée à différents types de menaces de nature et d’ampleur différentes. Parmi celles-ci, l’apparition dans les eaux intérieures marocaines, dès l’année 1991, de l’anguillicolose qui est, au moins en partie, responsable du déclin alarmant du stock d’anguille.
Il n’y a pas si longtemps, l’Anguille était considérée comme une espèce commune, robuste et paraissait peu vulnérable. Réputée par sa large valence écologique : elle s’adapte à des milieux de salinité différentes (eaux salines, saumâtre et douce), résiste à l’émersion temporaire, effectue des migrations de grande ampleur, depuis la mer des Sargasses jusqu’aux eaux continentales européennes et nord africaines, etc. Cependant, actuellement, dans toute son aire de répartition géographique, l’Anguille (Anguilla anguilla) est considérée depuis 1996, par la commission Internationale pour l’exploitation de la Mer (CIEM), comme en dehors de ses limites de sécurité biologique. Au Maroc, l’analyse des statistiques de pêche, révèle une diminution des quantités pêchées à l’échelle nationale reflétant ainsi un déclin du stock d’anguille surtout au niveau des principaux sites de pêche : la Moulouya, le Loukkos, le Sebou et l’Oum-er-Rbiâ. En effet, l’Anguille est en permanence affrontée à différents types de menaces de nature et d’ampleur différentes. Les principaux facteurs responsables de ce déclin alarmant du stock sont essentiellement les aménagements des cours d’eau (construction de barrages sans échelles à poissons) entravant la dévalaison des anguilles argentées et la migration anadrome des civelles ; le déficit en eau des rivières, à cause de la sécheresse, accentué par les pompages des eaux pour l’agriculture en plus de l’extraction du sable perturbant fortement les zones de croissance de ce poisson ; les pollutions urbaine et industrielle croissantes ; la surpêche ; le braconnage (pêche des civelles au moyen des nasses barrant tout le cours d’eau) et l’apparition dès les années quatre-vingt-dix de l’Anguillicolose.
L’anguillicolose
C’est l’une des importantes menaces naturelles pesant sur l’anguille. L’Anguillicolose est une parasitose engendrée par un nématode du genre Anguillicola. Ce parasite est d’origine asiatique, il provoque chez l’anguille européenne des lésions plus grave que celles observées chez l’anguille japonaise. En effet, la vessie gazeuse des anguilles, contaminées par ce ver hématophage, présente un épaississement considérable (fibrose) de la paroi, elle subie alors une réduction de sa lumière, une perte de gaz et une perte de son élasticité fonctionnelle. Tous ces troubles conduisent à un dysfonctionnement de la vessie natatoire, un organe essentiel permettant aux anguilles de réaliser leur migration et diminuerait donc, la capacité de migration des anguilles vers l’aire de ponte (Mer des sargasses).
Propagation du parasite
Dès les années quatre-vingts, l’Anguillicolose a été détectée, en Italie, il a été donc impossible d’éviter le passage de ce ²fléau² de l’Asie vers l’Europe. Puis, cette espèce s’est très vite répandue vers d’autres pays européens. Au Maroc, une première étude, réalisée en 1991, n’a révélé la présence que d’une seule anguille infestée. En 1995, deux sites se sont révélés contaminés : le Sebou et le Loukkos. Les prévalences enregistrées étaient inquiétantes, respectivement 43,33 et 51,66 %. Alors que le site méditerranéen (Moulouya) s’est révélé indemne. Deux années plus tard, en1997, les prévalences ont atteints des valeurs alarmantes (83 % dans le Sebou et 69 % dans le Loukkos). De plus, on note une contamination au niveau de la Moulouya (prévalence de l’ordre de 55 %), site qui été indemne deux ans plus tôt. L’analyse de ces données, permet de constater la rapidité avec laquelle ce parasite parvient à coloniser les différents sites aussi bien atlantiques que méditerranéens. Ceci est dû en premier lieu aux propriétés que présente à la fois le parasite et son hôte sans oublier la participation de l’homme par le biais de ses activités dans la dessimination de ce nématode au niveau des différents réseaux hydrologiques marocains. Les déplacements de l’anguille, migration diadrome, facilitent la diffusion de ce parasite au niveau des écosystèmes aquatiques, surtout qu’elle peut être infestée à tous les stades. D’un autre côté, les potentialités naturelles du parasite jouent un rôle fondamental dans sa propagation. Ce nématode se caractérise par un haut pouvoir de reproduction (0,5. 106 œufs par ver), un cycle de développement simple qui comprend de nombreuses espèces hôtes aussi bien intermédiaires que paraténiques. Auxquels s’ajoute sa transmission lors de la migration marine des anguilles infestées. En effet, la capacité de survie de ce nématode est d’environ 2 semaines en eau de mer, donc le milieu marin ne constitue pas une barrière écologique à l’extension de ce parasite.
Origine de l’infestation des écosystèmes fluviaux marocains
Plusieurs hypothèses ont été avancées quant à l’origine de l’infestation des sites marocains, parmi lesquelles, et qui paraît la plus convaincante, est que le Maroc a importé des alevins de 3 espèces de carpes originaires de la Bulgarie et de la Hongrie qui ont été destinés à la lutte biologique contre l’eutrophisation des lacs de barrages et la végétation envahissante des canaux d’irrigation. Ces introductions intempestives pourront donc bien expliquer l’origine de l’introduction de cette nématodose au Maroc et la contamination de ses cours d’eau.
Précautions à prendre
Du point de vue économique, l’anguillicolose est parmi les maladies parasitaires les plus importantes. Elle cause un ralentissement dans la croissance et induit des infections importantes. De plus, elle diminue la capacité migratoire des géniteurs vers l’aire de reproduction (Mer des Sargasses) et donc c’est l’une des causes du déclin alarmant des stocks d’anguilles. Cette parasitose est actuellement en progression exponentielle. Afin de lutter contre ce « fléau », les activités liées au repeuplement ou à l’anguilliculture devraient être entreprises seulement à partir des populations d’anguilles indemnes et d’éviter les repeuplements intempestifs, d’une part, et d’autre part, renforcer les contrôles parasitaires des anguilles ou d’autres poissons infestés et leurs trafics, destinés soit à l’élevage soit au repeuplement ichtyologique des eaux continentales.