Les algues rouges, trésors naturels dont est extrait l’agar-agar, sont victimes d’une surexploitation évidente. Le Maroc, berceau de l’algue rouge, est pris entre deux feux : assurer la survivance des pêcheurs et protéger sa biodiversité…
Très prisée par l’art culinaire, l’algue rouge, transformée en poudre blanche, devient le gélifiant le plus puissant au monde : l’agar-agar. Le Maroc exporte 40 % de sa récolte à l’état brut. Le reste est transformé sur place par la seule usine de traitement, dans la petite ville de Kénitra (à une quarantaine de kilomètres au nord de Rabat). Son patron, Rachid Lebbar, confesse aisément que l’exporter une fois transformée « rapporte plus de devises » que la matière brute.
Ils sont donc des milliers, vrais pêcheurs ou plongeurs reconvertis, à ramasser ces filaments rouges si convoités. Si nombreux que l’objet de leurs désirs est grandement menacé. Officiellement, la récolte n’est autorisée que pendant les trois mois de l’été.
Il y a ceux qui pêchent, ceux qui plongent, ceux qui ramassent. Trois mois pour faire vivre sa famille pendant un an. C’est peu. Et la situation risque encore d’empirer. La détresse est leur pain quotidien, la pauvreté les guette. Mais à trop pêcher, les stocks commencent déjà à baisser. Le littoral marocain a perdu 40 % de ses algues rouges entre 1999 et 2004. D’ordinaire, les stocks se renouvellent au mois de septembre, une fois la collecte terminée. Maintenant, ce n’est plus le cas, les quotas de pêche n’étant pas respectés.
Survie ou écologie?
Et comme s’en inquiète Ahmed, ancien pêcheur : « faut-il d’abord penser à l’écologie ou d’abord à sa famille et à soi ? ». Cette question terrorise d’autant qu’elle n’appelle aucune réponse. La population tente le tout pour le tout pour s’assurer un quotidien décent, les autorités ne les aident pas, ne réglementent même pas la profession. Tant que cela ne sera pas le cas, les familles continueront à surpêcher pour vivre, brisant l’équilibre écologique de la région…
Les ressources algales constituent un atout majeur pour la province d’El Jadida qui reste la zone d’exploitation la plus importante à l’échelle nationale. Les quantités débarquées, composées essentiellement d’algues rouges, dépassent, selon les chiffres officiels, les 8.000 tonnes sèches par an, alors que normalement ces quantités ne doivent pas dépasser les 5.000 tonnes durant la même période. La réalité de ce secteur, d’après certains professionnels, est, en effet, tout autre : il faut multiplier par deux le chiffre avancé.
Le premier à avoir constaté ce gisement de «d’or rouge» est un juif du nom de Karrara. C’était en 1948. Mais, c’est un Français, Dali Grand, qui découvrit la valeur de cette «herbe» que rejetait la mer sur les rivages de la côte. De retour d’un séjour en Espagne en 1950, où il réalisa que les algues rouges valaient leur pesant d’or, il abandonna sa fabrique de conserve des sardines et des petits pois pour s’adonner à l’exploitation des algues. A cette époque, les ramasseurs, armés de paniers, attendaient les marées hautes pour glaner les touffes d’herbes que contenaient les vagues et sillonnaient, également, les rivages pour prendre celles rejetées par la mer. Quand c’est la marée basse, ils descendaient en pleine mer pour moissonner, à mains nues, les algues qu’ils mettaient dans des caisses en cordes ou dans des paniers en roseaux.
Histoire d’une « industrie »
C’est finalement en 1963 qu’une société italienne «Algenas- Maroc» introduisit un matériel moderne pour une collecte au large. Entre temps, le nombre des intermédiaires et des marchands clandestins augmentait sans cesse. Les plongeurs, équipés de chambres à air, s’acharnaient sur l’arrachage des algues. Eté comme hiver. L’exportation se faisait vers l’Asie et l’Europe à un prix très élevé. Les sociétés se multiplièrent alors et les bateaux d’exploitation, très nombreux, sillonnaient la côte d’Azemmour à Jorf Lasfar. Ainsi, et durant de longues années, le massacre était total et aveugle ! Des sociétés, malhonnêtes, n’hésitèrent pas à créer d’autres pour simuler une fausse concurrence alors qu’elles n’en formaient, en réalité, qu’une seule société ! La transformation de cette matière débuta à partir de 1980.
La région d’El Jadida, réputée pour ses 150 kilomètres de côtes très riches en algues, est submergée par une armada de plongeurs et de canotiers, locaux et venant d’ailleurs, durant les trois mois d’été où la récolte est autorisée légalement. Pendant cette période d’activité, un plongeur peut assurer un revenu de 3 à 4 millions de centimes. Cela dépend des prix des algues humides qui varient normalement entre 2 et 3 DH le kg. Les sèches atteignent facilement 8 DH le kg. Mais, c’est la catégorie des exportateurs qui en profite. La vente passe, également, par des intermédiaires, les coopératives (créées, pourtant, dans le but de préserver cette ressource précieuse), les unités industrielles de transformation et les sociétés d’exportation. Ainsi, on peut avoir une idée sur la surexploitation dont sont victimes les algues malgré l’existence d’une loi spéciale portant sur leur ramassage.
Entre volontés et réalités
Il est, certes, vrai que les autorités provinciales avaient mis sur pied une commission provinciale dans l’espoir de lutter contre l’exploitation illégale et abusive. Mais peine perdue puisque les anciennes pratiques sont toujours de mise.
L’indisponibilité d’outils adéquats et appropriés, l’étendue des côtes et la malversation des uns et des autres des membres de la commission rendent très impossible tout contrôle rigoureux. Certaines sociétés d’exportation, gourmandes et avides du gain facile, participent, elles aussi, au massacre de cette richesse en encourageant les plongeurs à travailler hors de la période de collecte autorisée. Car, ce produit valorisé est vendu à prix d’or à l’extérieur.
La côte d’El Jadida se caractérise par une forte remontée d’un courant marin glacé, passant par le Maroc, riche en minéraux, appelé «Up Welling» et qui fait la richesse florale de cette région, surtout en Geledium Sesquipédale, algue recherchée par les industriels de l’agar agar qu’on utilisait, principalement, il y a une trentaine d’années comme épaississant des colorants des textiles.
Un substitut à la graisse animale
La gamme, très étendue, des possibilités de l’agar agar dans l’industrie alimentaire découle de ses caractéristiques particulières de gélification que l’on ne retrouve dans aucun autre colloïde végétal ou animal.
Quelle solution donc pour ménager et préserver cette richesse ?Pour l’Union des coopératives, seule l’élaboration d’un programme commun, défini par les différents intervenants dans le secteur, est à même de résoudre ce problème créé. Un programme que devraient respecter scrupuleusement toutes les parties en lice.
L’exploitation du Gelidium a débutée à El Jadida en 1949, surtout pour l’espèce G. sesquipedale qu’on trouvait en abondance rejetée en épave par la mer ou sur les rochers du médiolittorale. Lors des périodes de récolte, ce sont quelques milliers de riverains démunis et quelques centaines de barques qui charrient une biomasse algale avoisinant les 14000 tonnes générant ainsi un chiffre d’affaires dépassant les 30 millions dhs.
Cette espèce a un rendement intéressant en agar avoisinant les 25 à 30% du poids sec. Elle est la seule de la flore marine marocaine, que la loi essaye de protéger de l’intense exploitation destructive. Deux arrêtés ont été publiés à son encontre (l’arrêté du 20 octobre 1950, BO N° 1983, et l’arrêté n° 1118-93 publié le 1er décembre 1993, BO N° 423).