Une étude publiée lundi dernier sur Nature.com analyse la régression du chardonneret élégant dans son aire de répartition Nord-Africaine. Les auteurs pointent du doigt le braconnage et les nouvelles méthodes sauvages de capture qui impactent les autres espèces d’oiseaux.
Saviez-vous qu’il existe plus de 400 tableaux personnifiant le chardonneret (Stila ou Moknin en darija) comme symbole d’esprit, de résurrection, de sacrifice voire de mort? Rien qu’en Afrique du Nord, l’utilisation de chardonneret comme animal de compagnie a fait ses premières apparitions il y a 13 siècles déjà.
Depuis tout ce temps, les chardonnerets ont toujours été capturés et mis en cage pour leurs couleurs élégantes et leur vaste répertoire de chants. Malheureusement, et comme un bon nombre de traditions qui touchent aux animaux sauvages, cette pratique en l’état actuel des choses, ne fait que contribuer au déclin de l’espèce voire à l’érosion de l’avifaune méditerranéenne en général…
Une étude publiée lundi dernier sur Nature.com tente d’analyser le phénomène de régression du chardonneret élégant dans son aire de répartition Nord Africaine. Les auteurs -affiliés à des universités en Algérie et Suisse et en Belgique- ont tenté d’étudier le phénomène de domestication du chardonneret élégant (Carduelis carduelis) dans le Maghreb occidental (Maroc, Algérie et Tunisie) et les effets du braconnage à long terme des populations sauvages sur la répartition de l’espèce. L’étude s’est aussi penchée sur les aspects relatifs à la fluctuation des prix sur le marché noir, l’évolution du trafic à l’échelle maghrébine et les dommages collatéraux sur les oiseaux migrateurs afro-paléarctiques (qui voyagent entre l’Europe et l’Afrique).
Le chardonneret a disparu de la moitié de son aire de distribution dans la région
Selon les auteurs, le chardonneret élégant a perdu prés de 56.7% de son aire de répartition dans la zone étudiée. Pointant du doigt le braconnage excessif et sauvage, les auteurs n’excluent pas le rôle d’autres facteurs dans l’accélération de la disparition du chardonneret (changement climatique, sécheresses sévères, feux de forêts).
Les seules populations encore viables sont au Maroc. Les scientifiques expliquent ce maintien par la richesse forestière du royaume et par un degré moindre de pression sur l’espèce comparativement avec le braconnage « industriel » et continue qui a sévi ces dernières décennies dans les deux autres pays ciblés par l’étude et qui y a mené à la disparition quasi-totale de l’oiseau à l’état sauvage. Les scientifiques avancent aussi l’hypothèse des apports de populations de chardonnerets qui migrent depuis l’Europe…
Si le royaume peut encore se targuer d’héberger des chardonnerets sauvages dans ses écosystèmes, le risque qui pèse sur ce formidable oiseau est proéminent et pourrait s’étendre à d’autres espèces encore plus rares. Pour les scientifiques, actuellement la « demande» issue des trois pays étudiés pèse sur le royaume.
Le prix qui augmente créant un « effet snob »
Comme la demande ne faiblit pas, et que les populations de l’espèce à l’état sauvage se raréfient, le prix du chardonneret a augmenté et des réseaux de trafic se sont multiplié. Un chardonneret vaut actuellement près d’un tiers du revenu mensuel moyen dans la région.
L’étude ne se penche pas sur la fluctuation des prix dans les marchés noirs marocains, mais le parallèle peut facilement être établi. L’augmentation des prix du chardonneret au Maroc ces dernières décennies n’est un secret pour personne. Sans même devoir aller jusqu’aux cas d’individus vendus dans les cercles de collectionneurs avertis à coup de milliers de dirhams (voir plus) car «champions» de chant.
D’un autre côté la publication évoque un phénomène vicieux : l’effet snob. En d’autres termes, la valeur économique accrue du chardonneret suite au déclin des populations sauvages a intensifié la pression du braconnage, ce qui a encore plus renforcé la popularité et la valeur sociale de l’espèce, et donc entraîné une augmentation de la demande» expliquent les scientifiques.
Le nombre total de chardonnerets en cage dans l’ensemble du Maghreb occidental est extrapolé à 15,6 millions avec prés de la moitié en Algérie (6,3 millions). Rappelons que quasiment tous ont été braconné dans la Nature car la méthode pour les reproduire en cage reste assez difficile.
Des méthodes de braconnage qui deviennent encore plus dangereuses sur l’avifaune
Quand le prix augmente, que la « ressource » diminue, les trafiquants et leur « ingéniosité » prennent le relais. Les auteurs ont conduit une enquête auprès «d’ex-braconniers» algériens pour comprendre l’évolution des méthodes de capture. Les résultats prouvent qu’il y a eu un changement majeur autour de 2010, quand les braconniers ont commencé à utiliser des filets (mist net) pour capturer les oiseaux.
«L’introduction de ces filets comme outil de capture est l’aspect le plus alarmant (…) enregistré» alertent les chercheurs.
Ces diapositifs sont -à la base- utilisés par les scientifiques qualifiés et autorisés pour faire des échantillonnages de l’avifaune selon des normes et des règles bien établies. Les braconniers poussés par la demande et l’appât du gain, se sont approprié la méthode -qui à défaut d’être ponctuelle, légalement encadrée et scientifiquement justifiée- est devenue un moyen de braconnage sauvage qui capture tous les oiseaux de passage d’une manière systématique.
Là aussi l’étude ne mentionne pas l’utilisation de ce genre de méthode pour le braconnage dans le territoire marocain, mais Ecologie.ma a pu avoir une confirmation dans ce sens de la part de M. Brahim Bakass président du Groupe Ornithologique du Maroc qui a personnellement été témoin de l’utilisation au Maroc de ce genre de filets par des braconniers.
Dressant leurs pièges dans des points stratégiques de passage, les braconniers qui utilisent cette méthode font d’immenses dégâts dans toutes les espèces. Selon l’étude, même les oiseaux relâchés risquent de ne pas survivre car très souvent se blessent en essayant de se libérer du filet.
Recommandations pour limiter les dégâts du braconnage
Ces résultats suggèrent que les oiseaux migrateurs afro-paléarctiques pourraient être menacés par les prises ‘accidentelles’ concluent les scientifiques avant de rappeler que le piégeage d’oiseaux a été interdit dans le Maghreb occidental depuis 2004 en Algérie, 2007 en Tunisie et 1962 au Maroc, mais que l’application des lois de conservation n’est souvent pas respectée.
L’équipe estime que les efforts des autorités de conservation (des trois pays) dirigées vers les populations sauvages et les postes-frontières nationaux, sont cruciaux, mais ne traitent pas le problème de ses racines. Là les scientifiques pointent les marchés aux puces (…) qui représentent le principal lien entre les braconniers, les commerçants et les clients. Les oiseaux y sont vendus illégalement (…) pendant toute l’année sans aucune surveillance.
L’étude recommande d’autres mesures urgentes à inclure comme la planification de la restauration, la reproduction artificielle des espèces, la surveillance des populations sauvages, et la sensibilisation des populations locales, avant de conclure que la restauration des populations sauvages de chardonneret au Maghreb occidental devrait réussir compte tenu des propriétés avantageuses démographiques de l’espèce.
Les efforts du royaume pour conserver les populations sauvages de chardonnerets
Sur ce site, nous avons -à plusieurs occasions- relayé les efforts des autorités en matière de lutte contre le trafic de chardonnerets. Ceux de la gendarmerie royale qui fait régulièrement de saisis de véhicules de trafiquants de chardonnerets en partance pour la frontière algérienne comme ceux du HCEFLCD.
Dans une interview publiée le 20 mars dernier sur leseco.ma, M. Mohamed Endichi directeur de la lutte contre la désertification et de la protection de la nature au HCEFLCD, explique le refus du Haut commissariat à donner suite aux demandes individuelles des membres des associations d’amateurs d’oiseaux chanteurs pour obtenir des autorisations légales de possession de chardonnerets.
Quand notre confrère journaliste évoque la différence entre amateur et braconnier, M. Endichi souligne qu’il a fallu, dans un premier temps, interdire la chasse car le nombre des amateurs a augmenté et la chasse est devenue intempestive. « En ce qui concerne les autorisations prévues par la procédure de régulation de la chasse et de la possession du chardonneret, il nous est impossible de délivrer des autorisations individuelles. Il s’agit d’un très grand nombre de membres que nous ne pouvons prendre en charge. Par ailleurs, nous prenons en compte la prise de conscience générale et les efforts des associations pour organiser cette activité bien qu’elles ne se soient pas mises d’accord sur une seule procédure » a t-il mentionné.
Pour la question de la responsabilité face au trafic, M. Endichi est très clair: c’est la responsabilité de toutes les parties prenantes. Seule une action collective est capable de mettre un terme à ce trafic. Si nous arrivons à conjuguer l’action régalienne et la prise de conscience des amateurs, le résultat serait positif.